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Activités scolaires

Michel JOIRET et Franck ANDRIAT

Propos recueillis par Mme B. Pensis

 

DEUX VISITES D’ECRIVAINS BELGES

En ce mois de février 2015, nous avons la chance de rencontrer deux écrivains belges. Ils vont parfaire notre séquence sur la littérature belge d’expression française.

Mais qu’ont-ils donc à nous apprendre ?

 

01  03

 

 

Questions à Michel JOIRET, auteur du polar « Le tueur de jonquilles ».

  1. Les personnages du roman.

Ils sont nombreux, sinon l’histoire ne serait pas crédible.  J’ai créé le commissaire Saint-Loup, qui n’est pas moi. J’observe bien les autres ; j’aime les petits caractères. Alors que la norme du polar, c’est de mettre en évidence de jeunes voyous, moi je préfère autre chose. Voilà pourquoi dans « Le tueur de jonquilles », le meurtrier est un homme âgé, tout ce qu’il y a apparemment de convenable. Il  tue des jonquilles, qui symbolisent le printemps, l’ouverture vers la vie. Lui est vieux, au crépuscule de sa vie, voilà pourquoi il assassine des jeunes gens. En réalité, il leur en veut d’être jeunes et il règle ainsi ses comptes avec le temps.

Saint-Loup n’a jamais été défini formellement. Je pense qu’il n’a pas la trentaine. Si je ne le décris pas vraiment, c’est parce que je ne suis pas un écrivain réaliste càd que ne ne passe pas de temps à chercher des informations, à étudier les comportements etc… Je suis plutôt dans la lignée de Georges Simenon qui disait que ce sont les lieux qui font l’individu, le hasard en somme. N’oubliez pas que nous, les Belges, nous sommes toujours influencés par le surréalisme. Et puis, une fois qu’un personnage est ébauché, on se laisse porter par lui. Le commissaire Saint-Loup m’a toujours indiqué ce que je devais lui faire faire …

  1. Le rapport au temps.

Un livre se lit différemment, qu’on ait 17, 40 ou 80 ans. On voit les choses autrement. Ainsi, « Le Grand Meaulnes » d’Alain-Fournier est un livre qui vous entraîne différemment en fonction de votre âge.  Quand j’ai écrit le roman « A l’enseigne du beau noir », j’ai voulu montrer la stupidité d’une certaine époque., l’idée du racisme. On ne mettrait plus une telle enseigne de magasin maintenant. Le polar « Les Masques verts du commandeur » présente des bandits-écologistes.  Il y a par exemple des meutres à vélo…         J’aime l’idée de faire les choses autrement, de provoquer.

En conclusion, vous voyez que le polar aussi permet de faire passer des idées, mais autrement.

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  1. Ecrire, c’est quoi ?

Il me faut à peu près 6 mois pour écrire un polar. J’ai mes petites manies, un peu comme Georges Simenon (la pipe, le café etc…) mais j’insiste sur le fait qu’on ne peut pas tricher avec soi-même. Se forcer ne sert à rien, il vaut mieux alors se balader, faire des courses, « faire son marché d’inspirations ». Proust, qui m’a beaucoup influencé, a dit joliment :  « C’est dans l’écriture qu’on trouve la vraie vie. ». Je lui dois beaucoup, et à Camus aussi, que je lisais à 20 ans.

L’écrivain, c’est un artiste qui développe une partie de lui, qui a la possibilité de créer quelque chose.  L’écrivain est aussi celui qui cherche et qui doute.  Tout le monde peut écrire, mais tout le monde ne peut pas être écrivain. C’est un véritable métier où vous êtes d’ailleurs l’élève de votre éditeur. Celui-ci vous mettra d’ailleurs le nez sur vos erreurs.

Si vous voulez vous-mêmes écrire, faites-le surtout par plaisir. Ayez du plaisir en écrivant parce que ce que vous produirez ne va peut-être pas marcher. Moi, je connais des écrivains qui se sont suicidés par manque de reconnaissance.

  1. Votre livre préféré ?

« La Recherche du temps perdu » de Marcel Proust !  Ah, il y a de quoi lire. 7 tomes en tout. Et aussi parce que Proust m’a appris l’importance à donner à la 1ère phrase d’un livre. Qui ne connait le début de la Recherche : « Longtemps, je me suis couché de bonne heure » ?  Amélie Nothomb aussi a l’art de bien trouver sa première phrase (l’incipit).

  1. Le marché de l’édition.

Dur, dur …  Avec l’éditeur, c’est une relation de « Je t’aime, moi non plus », ce qui veut dire que la logique du créateur n’est pas la logique de l’éditeur. Et ce qu’on gagne finalement est dérisoire. Ceci dit quand un livre plait aux lecteurs, qu’on remporte un prix, c’est un vrai bonheur. « Madame Cléo » est le roman qui m’a le plus coûté. Roman autobiographique de quand j’étais un jeune prof en Tunisie mais il a été récompensé du Prix Parlement. Mon prochain roman, qui sortira ce mois-ci, s’appelle « Le Carré d’or ». Il se situe dans le centre de BXL et pose la question de la fin du monde.  Réceptions, promotion, Foire du Livre de Bruxelles : voilà aussi le métier de l’écrivain.

  1. Parlez-nous des écrivains belges.

Notre spécificité, c’est de ne pas être français mais belges dans un pays hâtivement construit et d’ailleurs nous n’avons pas ce sentiment national profond qu’on peut retrouver chez les Français. Un historien belge (Michelet ?) a dit : « La Belgique a toujours été un pays occupé et donc nous avons acquis le mythe de Tyl Uilenspiegel » càd cet esprit de révolte avec farces et attrapes.  Pour vous expliquer encore ce qu’est la littérature francophone de Belgique, revenons en 40-45. Le journal « Le Soir » était sous domination allemande et ne publiait que de la propagande nazie. Or, des journalistes ont décidé un jour de publier un faux « Soir » en secret, un énorme canular qui a fait rire toute la population belge en mal de gaieté. Evidemment, ça s’est mal terminé : les journalistes ont été découverts et tués par les Allemands. Mais ça, c’est l’esprit de la littérature chez nous. Un surréalisme belge indépendant politiquement du surréalisme français qui menait des actions de gauche assez violentes. Nous, nous aimons plus les canulars que l’action politique.

 

05 04

 

 

Franck ANDRIAT, « Je t’enverrai des fleurs de Damas »

 Est-ce votre histoire en tant que prof de 4ème à l’Athénée Fernand Blum ?

Même si c’est basé sur une histoire vraie, il faut savoir qu’un livre, et a fortiori un roman, est toujours une histoire. Par exemple, les lettres qu’envoie Myriam au prof de français sont toutes inventées.  Youssef n’existe pas non plus. Et je ne suis pas Bébé Cougnou !

Quel métier choisiriez-vous si vous y étiez obligé ? Prof ou écrivain ? 

Prof et écrivain. Prof, pour donner le goût de la lecture et de l’écriture aux élèves.  Ecrivain pour rencontrer des gens, d’abord. Ensuite, pour être utile en faisant passer des messages car le métier d’écrivain, c’est un métier où l’on est tout seul mais en vous rendant visite, je fais des rencontres, je voyage.

Combien gagnez-vous en écrivant ?

Ah oui, parlons du point de vue économique. D’abord, pour 1000 livres reçus chez l’éditeur, un seul est édité !   99% de déçus, donc.

Tu vas chez le libraire et tu achètes un livre à 10€.   Le libraire reçoit 3,50€, le distributeur 2,50€. Le papier, la reliure, … coûtent 2€.  Que reste-t-il ? 2€.  A distribuer entre l’éditeur (1,20€) et l’écrivain (0,80€).